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Quel devenir pour une demeure mise en péril ?

rédigé en février 2012

Villa Bel-Air

Entrée du parc, vue du chemin sinueux, la bastide ne s’offre à la vue que vers la fin du parcours.
Entrée du parc, vue du chemin sinueux, la bastide ne s’offre à la vue que vers la fin du parcours.

1871, Bastide, Dépendance et Parc boisé d’un hectare

Quartiers Belle de Mai, 3è arr. / Saint-Barthélemy, 14è arr.

 

Cet article est un recueil d’informations liées à un lieu, ainsi qu’à ce qu’il représente, dans le but de le percevoir de la manière la plus complète dans son contexte global, du point de vue historique, spatial et social. Il traitera successivement de l’image et l’héritage des bastides à Marseille ; de la sauvegarde du lieu grâce à son statut de friche militaire ; de l’occupation comme réponse à des besoins vitaux ; des acteurs gravitants autour du lieu (institutions, associations, habitants) ; des opportunités d’intégrer les habitants dans la conception, la fabrication et l’appropriation de l’espace public. Cela pour permettre de cerner les enjeux et les capacités du site, en vue de proposer un projet “idéal” qui correspondrait au mieux à ce qu’il aspire naturellement à devenir.

En contrebas, il y avait la route à laquelle s’accrochait un petit sentier, taillé à la pelle et à la pioche, qui curieusement serpentait et paresseusement faisait l’école buissonnière autour de la maison avant d’y accéder.

J’interrogeai, étonné :

- Pourquoi avez-vous construit un si long chemin ? Chaque fois que vous partez ou que vous revenez, fatigué par votre travail, vous vous imposez une route inutile. N’est-ce pas paradoxal ?

Il me regarda ironiquement et me répondit :

- Je vois que tu es jeune et que tu n’as pas encore l’expérience de la vie.

Et, en détachant ses mots :

- Apprends que, lorsque tu aimes une femme, tu l’entoures, tu l’enlaces, tu l’embrasses. Eh bien, moi, j’aime ma maison comme si c’était une femme. Et chaque fois que je reviens, en la contournant, je l’embrasse, au lieu d’entrer directement, brutalement, comme tu penses qu’il faut faire. À l’intérieur de la maison, chaque élément était composé avec cette même recherche, cette même préoccupation... C’était une attitude plus qu’une construction.

- Ma chambre, vois-tu, c’est important. Et c’est pourquoi, pour y accéder, j’y ai creusé trois petites marches difficiles à descendre. Car il faut un effort pour pénétrer dans un lieu qui a une qualité, une signification.


Georges Candilis, La découverte de l’architecture

Situation actuelle

La villa Bel Air est posée au milieu d’un espace boisé exceptionnel dans le quartier. Mais il semble désormais acquis que la demeure sera détruite. Photo frédéric speich
La villa Bel Air est posée au milieu d’un espace boisé exceptionnel dans le quartier. Mais il semble désormais acquis que la demeure sera détruite. Photo frédéric speich

« La “villa Bel Air” a perdu ses grands airs depuis longtemps. Elle n’est désormais plus qu’un squat, coincé entre la passerelle plombières et la cité HLM de Saint-Barthélemy (14e arrondissement de Marseille). Jeudi après-midi, après une énième empoignage entre un groupe de six ou sept personnes, le pire est arrivé. L’un des occupants des lieux, Jean-Claude, un SDF de 43 ans, a poignardé Mohamed, 33 ans. [...] Le 8 août 2010, un crime similaire s’était produit dans la bâtisse, déjà habitée par des sans domicile fixe. Un homme de 49 ans avait été retrouvé sans vie, lardé de coups de couteau, mais son meurtrier n’avait pas été retrouvé. Depuis, il semble que d’autres squatteurs avaient pris le relais et sombré dans les mêmes turpitudes. Il y a quelques mois, un collectif s’était mobilisé afin de redonner vie à cette demeure en associant au projet ceux qui tentaient d’y survivre, afin de contrecarrer la réalisation d’un programme immobilier. Ce nouveau crime devrait mettre un terme définitif à cette ultime tentative de sauver la “villa Bel Air”.»1

 

1.Romain Luongo pour La Provence, Marseille : deuxième crime au couteau villa Bel Air, 03/09/2011, URL : http://www.laprovence.com/article/marseille-494

 

Conclusion hâtive... Est-ce qu’après 140 ans d’existence, un drame peut condamner un lieu à disparaître ? Devrait-on laisser périr ce lieu comme on l’a laissé pourrir ?

Bastides marseillaises

 « Les bastides - sorte de ville à la campagne - sont à Marseille inséparables d’un mode de vie urbain, tant bourgeois que populaire. »2

 
« Il y en a bien cinq à six mille dans les environs de Marseille.De tous côtés, on voit ces petites maisons d’une blancheur éclatante qui se détachent sur la verdure pâle des oliviers. »3

 

Historiquement les bastides sont une utopie rustique, une manière pour les bourgeois de fuir la ville en se réfugiant hâtivement en fin de semaine dans leur maison de campagne. « C’est l’espace social second de la bourgeoisie marseillaise, scène sociale complémentaire de la scène sociale urbaine. […] mais la forme marseillaise a ceci de particulier qu’elle se réalise dans deux espaces proches. »2
Elles permettent une exploitation du territoire alliant à la fois le plaisir et la production du jardin, qui selon Michel Baridon, éveille à un imaginaire de la fertilité. Ce qui en fait un lieu de villégiature propice à la réflexion.
Les domaines ponctuaient en grand nombre le territoire de la ville de Marseille, mais après la seconde guerre mondiale, « La bourgeoisie marseillaise soutint activement les projets d’urbanisation du terroir, […] : si en d’autres temps ces terrains avaient assuré un revenu grâce au vin, ils l’assureraient désormais grâce au béton. La plupart des bastides furent vendues, et l’on y bâtit des ensembles résidentiels ou des HLM. »4


Quelle valeur patrimoniale leur est accordée aujourd’hui ?


« Elles continueront à fournir des réserves foncières, jusqu’aux années soixante, la construction des résidences de luxe ou de demi-luxe ici, des HLM là (sous le béton, la pinède…), […] à la notoire exception de celles qui, gardées par des propriétaires plus fortunés ou devenues propriétés publiques (le château Borély), maintiendront des lambeaux de parc dans le paysage urbain marseillais. »2
Toutes les bastides, donc, ne sont pas tombées sous les coulées de béton des promoteurs et ont dû pour leur sauvegarde, se reconvertir selon le principe de l’article 5 de la charte de Venise « La conservation des monuments est toujours favorisée par l’affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société »5
Ainsi la bastide de la campagne Pastré devient le musée de la Faïence ; Celle du jardin de la Magalone, une école de Musique ; La Villa Bagatelle, mairie du 6e/8e ; La Maison Blanche, mairie du 9e/10e ; La Bastide Saint-Joseph, mairie du 13e/14e arrondissements ; etc.
Dans le 14ème arrondissement de Marseille, la bastide Saint-Jean de Dieu s’est vu amputée de la moitié de son parc pour permettre à des promoteurs d’y construire des lotissements. Mais elle a était conservée en devenant une Maison de retraite Médicalisée agrémentée récemment d’un centre d’accueil de nuit pour les SDF âgés.
Il ne doit donc rester à Marseille, que peu de domaines encore dans leur état d’origine, proposants une réserve de foncier rare et toujours plus alléchante.
À vouloir remplir tous les espaces “libres”, la ville est peut-être entrain de perdre une composante importante de son identité : une cité portuaire tournée vers la terre, où des espaces privilégiés de nature permettent des pauses hors du temps. 
C’est pourquoi les dernières ponctuations de ce qui a jadis fait le territoire marseillais, méritent de se poser la question du devenir des “vestiges” que sont les bastides dans la ville.

 

2. Jean-Claude Chamboredon, Bastides et cabanons, Enquête, La ville des sciences sociales, 1996, [En ligne], mis en ligne le 12 novembre 2008. URL : http://enquete.revues.org/document843.html

3. Stendhal, Mémoires d’un touriste [1838], Paris, La Découverte, 1981 ; dans son Voyage dans le Midi, Paris, La Découverte, III, 1981, p. 151

4. Alèssi Dell’Umbria, Le paysage contemporain de la ville de Marseille, revue Agone, 38-39, 2008, [En ligne], mis en ligne le 23 mai 2010. URL : http://revueagone.revues.org/197

5. ICOMOS, Charte Internationale sur la Conservation et la Restauration des Monuments et des Sites dite Charte de Venise, 1964. URL : http://www.icomos.org/docs/venise.html


 

Friches militaires & urbaines

Plan des friches dans le quartiers de la Belle de Mai
Plan des friches dans le quartiers de la Belle de Mai

La particularité des terrains appartenant à l’Armée, l’État ou l’Église est qu’ils échappent totalement à la logique capitaliste du marché. Étant la propriété d’institutions, certains espaces remarquables ont pu être préservés. Mais suite au départ de nombreuses garnisons, plusieurs casernes se retrouvent à l’abandon, libérant des espaces à forts enjeux urbains, lieux de toutes les convoitises. 
Les friches urbaines sont de formidables opportunités d’expérimenter de nouveaux modèles, en reconstruisant la ville sur la ville et en améliorant les faiblesses misent en évidence lors de la première vie du lieu.L’espace et les caractéristiques du lieu à disposition sont utilisés au maximum dans les nouvelles pratiques misent en place car elles découlent en fait de la capacité d’accueil de l’existant.C’est pourquoi le programme d’une opération architecturale en réhabilitation doit parfois s’adapter aux contraintes du bâtiment. Ainsi le nouvel usage doit être en cohérence avec l’espace proposé.
Ainsi la manufacture de tabac située rue Jobin est devenue un immense lieu de création artistique : La Friche la Belle de Mai ; suite à l’occupation de plusieurs associations, le Comptoir de la Victorine est devenu lui aussi un lieu dédié à l’art et à la création ; une petite usine de bobine du quartier s’est changée en une salle de concert associative : l’Embobineuse ; la caserne Bugeaud devrait regrouper les écoles d’Architecture, des Beaux-arts et du Paysage d’ici quelques années ; et l’avenir reste incertain pour la villa Bel Air, ancienne caserne de la gendarmerie, aujourd’hui occupée par quelques marginaux.

Occupation sans titre

L’occupation sans titre (ou squat) est généralement le résultat d’un besoin immédiat qui ne peut être résolu par des voies légales. Les occupants squattent pour deux raisons principales : l’économie et/ou la politique.
Historiquement, un des premiers mouvements de protestation contre le manque de logement a été l’occupation des bastides par les mouvements chrétiens ouvriers à Marseille dans les années 1950.
Il existe certains modèles d’occupation comme le Centre Social Occupé Autogéré initié en Italie dans les années 1970 pour protester contre la société de consommation et qui propose dans un lieu occupé des activités contribuant au bien-être public. « Le terme Centre social occupé autogéré (CSOA) désigne des bâtiments désaffectés - usines, écoles, garages, entrepôts, etc. - occupés illégalement par des collectifs qui se proposent d’y développer des activités relevant aussi bien du domaine social, que politique et culturel. En ce qui concerne le volet dit social, certains centres sociaux de la péninsule italienne développent des pratiques présentées comme une réponse aux carences des services publics de l’État : garderie, soutien scolaire, aides juridiques aux personnes démunies ou aux immigrés en situation illégale, accueil des toxicomanes, etc.… Du côté des activités politiques, les centres sociaux s’avèrent être particulièrement propices aux débats, aux conférences et à l’organisation de manifestations consacrés, à des objets et à des thèmes indiquant toujours un très fort ancrage à gauche. »6
Dans la même veine, à Marseille depuis juillet 2011, une quinzaine d’artistes occupent l’ancien théâtre Nau dans le but « d’aider les structures culturelles et associatives à se développer. » « Il dispose d’un théâtre et de diverses salles d’expression. L’association le NO ! est un lieu socioculturel autogéré se trouvant dans le quartier de la plaine. »7

 Et seulement 3 mois après sa ré-ouverture « Le nombre d’adhérents au nouveau “NO !”, encartés en un temps record ? 990 ! “Ça prouve que ce lieu historique doit continuer  à vivre. Pour nous, bien sûr, parce qu’on y demeure. Mais aussi, pour le public et pour le quartier” »8

François Goven, inspecteur général des Monuments historiques, admet que l’ « occupation spontanée, voire sauvage […] a effectivement permis la sauvegarde de nombre d’édifices »9
Ainsi à la Villa Bel Air, les occupants protègent la bastide d’un sort qui guette la plupart des bâtiments désaffectés et isolés : le vandalisme. Un sacage qui ne peut être évité que grâce à une présence permanente sur place. Paradoxalement, les symptômes les plus marquants de la décadence du bâti ne sont pas tant les tags ou dégradations de surface, mais les parpaings murant les ouvertures, visants - à cause des infiltrations d’eau dûes aux dégradations de la toiture - à prématurer la chute des planchers.
Cette manière différente de regarder l’occupation - une façon de préserver à la fois un bâtiment et d’améliorer une société – peut-être le départ d’une réflexion pluridisciplinaire et participative destinée à faire évoluer la situation dans l’intérêt commun des différents acteurs gravitants autour du lieu.

 

6.  Christophe Traïni, résumé du colloque Les mobilisations altermondialistes, 3-5 décembre 2003 URL : http://www.artfactories.net/IMG/Traini.pdf

7. Site internet de l’association le NO ! URL : http://www.associationleno.marsnet.org/

8. Laurent D’Ancona pour La Provence, Marseille : le théâtre Nau n’a pas dit son dernier mot, URL : http://www.laprovence.com/article/marseille-337

9. Cahier Jean Hubert 4, Reconvertir le patrimoine, Lyon, Lieux Dits Édition, juillet 2011, p. 79

Acteurs institutionnels & sociaux

La gendarmerie loge des troupes dans la bastide Bel Air, qu’elle abandonne en 2005. L’État - toujours propriétaire de la parcelle où se trouve la bastide - en accord avec la mairie centrale et la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole ouvre en août 2009 une enquête publique pour la révision du PLU. Cette enquête a pour but de déclasser une partie de l’Espace Boisé Classé du parc ainsi que la suppression de la bastide de la liste « autre élément du patrimoine » dans le but de lotir le terrain avec 80 logements dont 50% de logement social. Malgré une opposition des habitants et du maire de secteur, la conclusion que donne le commissaire enquêteur est : AVIS FAVORABLE sans réserve.
De son côté, le maire des 13e/14e arrondissements, Garo Hovsepian, « s’oppose à densifier le parc locatif social de ce quartier qui est déjà de 75%, comme [il] conteste la réduction du seul espace boisé classé du secteur et la démolition d’un élément du patrimoine. » et il propose ainsi « un projet davantage raisonné, durable et diversifié avec la réhabilitation de la bastide et de son parc en équipement public de proximité, une offre de logement limitée et adaptée ainsi que la sécurisation de la trame circulatoire ». Et il demande « d’élaborer en concertation avec la Mairie de secteur et la population locale un projet plus cohérent. »10
Les occupant[e]s de la bastide, qui vont et viennent depuis 2008, sont tous très différents, de l’employé s’évitant de dilapider son salaire dans un loyer exorbitant, au jeune SDF paumé en passant par une immigrée baragouinant mal le français. Tous par contre sont là car le cadre de vie est presque idyllique, si ce n’est les rapports de force qu’il faut entretenir avec des vandales pour éviter les incartades passées. Ne sont-ils pas laissés en paix car ils occupent le rôle de gardien ?
Généralement les occupant[e]s entretiennent de bon rapports avec leur voisinage, ils accèdent à l’eau courante grâce à l’association de l’Artichaut, située juste en face du parc du domaine depuis 3 ans sur des terrains loués aux espaces verts de la ville.

De leurs côtés, les associations sont impliquées dans la vie de leur quartier, les jardins de l’artichaut proposent des évènements publics et animent en partenariat avec la classe de 5ème SEGPA du collège de Gibraltar un atelier jardin pour les élèves.
Juste à côté se trouve des jardins d’insertions, gérés par la Fraternité de la Belle de Mai - association d’éducation populaire – qui travaille avec des enfants et des marginaux.
Dans les associations susceptibles de participer à la mise en œuvre d’un projet commun aux quartiers de la Belle de Mai et de Saint-Barthélemy, on peut ajouter, Les Brouettes, La KuiZìn, L’Embobineuse, ainsi que feu l’association “Sauvons Château Bel Air” dont il reste des membres actifs, motivés par le projet qu’ils ont tenté d’impulser.

 

10. Garo Hovsepian, Lettre à M. Claude Valette, conseiller communautaire, 4 janvier 2010

Esquisse du projet Château Bel Air

Ferme pédagogique - Lieu de resocialisation par la nature d’après l’avant-projet de l’association “Sauvons Château Bel Air” 

Avant tout projet construit, il y a le temps du chantier. Celui-ci peut fonctionner avec la proposition de l’association, où on peut imaginer bénéficier d’un encadrement par des Compagnons du devoir. Ainsi les locataires et habitants du quartier prenant part à la réhabilitation du bâti, se sentiraient d’autant plus en relation avec le lieu. On a vu que historiquement la bastide était une maison bourgeoise qui permettait à son propriétaire une retraite au vert, souvent agrémentée d’un travail de la terre. Si l’on en suit cette logique ancestrale, alors cet endroit à l’abri se doit de rester cette représentation mentale de la Nature à portée de la ville, où l’on peut cultiver la terre. Ainsi, les fruits du travail des locataires sont directement visibles. Et la perception du lieu évolue avec les saisons, proposant un renouvellement perpétuel dans le travail proposé.Les locataires pourraient donc prétendre à une autosuffisance alimentaire, grâce au potager et animaux de basse-cour, voire éventuellement si la (sur)production le permet l’ouverture d’un restaurant associatif, basé sur le modèle de La KuiZìn. Et aussi proposer des visites de la ferme aux élèves des écoles du quartier, à la manière des échanges entre le collège de Gibraltar et les Jardins de l’Artichaut. La tâche des locataires, encadré par des éducateurs spécialisés (sous forme d’association de l’Économie Sociale et Solidaire) permettrait de former des “jardiniers” de manière à en faire des personnes éclairées sur ce qui représente la base de notre survie : le travail de la terre (cf. la France qui sème : pièces de monnaie, timbres poste). D’après Serge Latouche - défenseur de la décroissance - pour revenir à une empreinte écologique soutenable (point d’équilibre entre les ressources consommées et les ressources produites par la planète), il suffirait de retourner à un niveau de vie équivalent à celui des années 60 en France. Époque où l’agriculture et les jardins ouvriers étaient encore très présents dans le quotidien des français.
À l’heure où l’écologie et la préservation de la biodiversité sont dans toutes les bouches. Où, à Marseille, la ville a voté un arrêté anti-mendicité, déclarant ainsi la chasse aux pauvres (et non à la pauvreté). Où les constructeurs délaissent l’espace public, au profit d’intérêts privés, projetant ainsi la société vers toujours plus d’individualisme.Cet avant-projet, à développer en concertation dans le quartier, aspire à proposer des alternatives pour répondre à ces questions, s’inscrivant ainsi dans l’air du temps.

 

Appropriation de l’espace public et autoconstruction

Aujourd’hui, de plus en plus de projets se conçoivent avec les futurs usagers, le plus souvent ce sont des projets d’habitat groupé, où les futurs acquéreurs se groupent, rencontrent l’architecte, le terrain, font part de leurs envies, leur idées, etc. À Marseille, la première opération de ce type est en train de voir le jour, grâce à l’association Toits de Choix, qui prépare la construction d’un immeuble groupé proche du boulevard National.
Mais cette pratique tend à s’étendre à l’espace public, par exemple à Saint- Étienne, le collectif Etc. a répondu au concours lancé par L’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne pour un espace public éphémère sur un site en friche en proposant un chantier public, mêlant le travail des riverains, des enfants avec des animations, des repas de quartier : « Nous souhaitons que notre projet se positionne dans le processus d’évolution du quartier. Notre intervention vise à développer chez les habitants et les passants une curiosité et une prise de conscience des changements en cours, leur donner l’occasion de s’intéresser à leur ville. ». Le collectif aborde ainsi le thème de l’autoconstruction, confortant les usagers dans l’idée que l’espace public appartient à tous. D’autres exemples de concertation sur le devenir de la ville ne manquent pas : Dataplace par le collectif Cochenko à Paris, Le bistrot du Porche par le Bruit du Frigo à Bordeaux, etc.
À Marseille, dans l’espace privé ouvert au public de la Friche Belle de Mai, le Village de Ville, autoconstruit par des étudiants (architectes, artistes, designers textile, ingénieurs, paysagistes, etc.) principalement à partir de matériaux issus de la récupération, propose des habitacles appropriables par les gens de passages. L’observation des pratiques prouve que ce lieu atypique est apprécié pour ses capacités d’accueil et sa construction rapide (2 x 10 jours) prouve qu’avec la volonté de plusieurs personnes une friche (ex-butte de gravats) peut rapidement devenir un lieu agréable et très souvent occupé pour diverses activités.
En face de la bastide, sur les terrains des jardins partagés, on peut observer de nombreuses autoconstructions sur le modèle des jardins ouvriers, même l’Artichaut dans sa partie ouverte au public, propose un abri, un point d’eau et bientôt un four en terre.

Enquête de terrain

Les collégiens sont mitigés, « ici, il n’y a rien à faire. On va à Dromel pour voir nos potes », les idées de parc et de nature s’entremêlent… À l’opposé, un vieil immigré assimile la place Cadenat à un parc, car il y a des arbres plantés dans le béton. Mais heureusement un vétéran du club de foot Burel se plaint du manque d’espaces verts dans le quartier et d’un lieu de rassemblement pour les jeunes et les anciens. Il est soutenu par un homme de passage connaissant le coin, « il faudrait un parc avec des activités, un lieu de liberté, on en a marre du béton ! ».
Devant une assistance d’une quarantaine de personnes attendant leur entrainement hebdomadaire au code de la route, les idées fusent : « un lieu de repos, de jeux pour les enfants », « un centre aéré », « un centre social »,« on pourrait avoir de la Nature, pour pouvoir visiter », « une antenne des restos du cœur ».
Chose étrange, le lieu n’est pas forcément connu, même par les habitants du quartier, il semble que sa situation en hauteur, enclavé (desservi par un petit portail) et occupé par des marginaux en font un « espace autre », mis à l’écart de la vie quotidienne.
En discutant à l’Artichaut, Stephie, la présidente, signale que le parc est très important pour la biodiversité ainsi que pour le miel des abeilles. En repartant, 4 voitures de police passent dans la traverse en direction du collège, les piétons sur la route préviennent que « y’a des racketteurs ! Avec des couteaux grands comme ça ! ». Car effectivement le passage du collège le long de la traverse est sous-fréquenté, il n’y a donc quasiment pas de contrôle social, dans cette ruelle et sa situation en creux en fait un coupe-gorge de choix pour attendre des collégiens.
Lors d’une discussion à l’Embobineuse, Félix, qui anime des ateliers pour enfants, précise que dans le quartier il se ressent une division entre les communautés ethniques. Division qui s’oublie lorsque les ateliers rassemblent les enfants et leurs familles.
Il apparait clairement que les habitants, même s’ils ne connaissaient pas forcément l’existence du parc, ont généralement envie d’une Nature à proximité de l’étouffement quotidien qu’exerce le ballet incessant des voitures dans leur quartier.

Proposition

Il n’y a pas d’avis ou de pensée personnelle qui ait la légitimité de s’exprimer de but en blanc sur une telle question, le choix de rédiger cet article est de fournir les clefs nécessaires à la compréhension du lieu pour en permettre une évolution logique et respectueuse.
Alors quel est le rôle de l’architecte ?  Sûrement de faire de l’architecture, soit. Donc l’art d’aménager l’espace.
En y regardant plus largement, on se rend vite compte que ce site possède des qualités exceptionnelles et uniques dans son environnement proche. C’est un espace naturel, où des arbres plusieurs fois centenaires poussent depuis bien plus longtemps que les bâtiments qui entourent le parc. À l’heure où beaucoup de projets urbains se questionnent autour de la réintroduction de la Nature en ville, serions-nous assez fous pour sacrifier cet espace de verdure privilégié et naturel ?
Le travail de l’architecte, à mon sens, ne doit pas dans ce cas tellement particulier d’essayer de faire rentrer tant bien que mal 80 logements en détruisant le minimum de nature, mais bien au contraire d’intégrer ce lieu dans l’espace du quartier, de lui permettre de croiser le quotidien de ses habitants pour qui il n’est actuellement qu’un « espace autre » (Cf. Michel Foucault) auquel ils n’imaginent pas pouvoir avoir accès.
N’existant pas dans le territoire mental des habitants, il est d’autant plus aisé pour des promoteurs de se l’accaparer. Malgré cela, l’affichage sur site des documents relatifs au projet de logements (révision du PLU) n’a pas résisté à ses opposants, ce qui prouve – une fois de plus – qu’une discussion est à mener avec les usagers du quartier.
Il faudrait que les habitants arrivent à prendre conscience les uns des autres, du rôle que peut avoir chacun et des capacités qu’ils auraient pour faire bouger leur quartier s’ils construisaient ensemble le futur.
Là où l’architecte peut mettre son grain de sable (qui peut, s’il est bien placé, enrayer toute une mécanique même bien graissée) c’est dans les relations existantes mais timides ou oubliées qu’il peut dévoiler avec délicatesse et dans la concertation des habitants. Si effectivement ce quartier manque de cohésion c'est parce que, encore plus qu’ailleurs, les gens n’ont pas les opportunités de se rencontrer et d’échanger, alors c’est effectivement ce rôle de médiateur qu’il faut avoir à présent pour sauvegarder ce lieu rare et en faire un espace habité.

« Par essence, une architecture trouve un jour sa fin. À la Vallée, l’espace habité concerne le terrain dans sa totalité et non la surface réduite de la construction. Je peux espérer qu’au-delà du bâti et quel que soit le moment où celui-ci aura atteint ses limites, le projet, au lieu de connaître un terme, continuera de s’épanouir et par le jardin, indéfiniment, conduira le regard au-devant. »

Gilles Clément, Le salon des berces